“Le boeuf d’Aubrac a le torse rond et trapu, les jambes courtes, le pelage fauve”. Ainsi Victor Hugo s’exprimait donc dans Les Travailleurs de la mer au sujet de la vache Aubrac. Ajoutez à cela de longues cornes en forme de lyre, et un regard charmeur maquillé de noir, et vous reconnaîtrez une vache Aubrac, originaire du Sud du Massif Central !
La vache Aubrac : un terroir et une histoire
Le plateau de l’Aubrac
La vache Aubrac, comme beaucoup de races bovines, porte le nom de son terroir. C’est une race très identitaire, attachée très fortement à son territoire : celui du plateau de l’Aubrac, implanté au sud du Massif Central sur 3 départements, le nord Aveyron, le Cantal et la Lozère.
Sur le haut plateau, le climat est rude. Avant le réchauffement climatique, la neige était présente 6 mois de l’année, avec le froid qui allait avec ! C’est pourquoi la rusticité de la race permet l’adaptation et l’acclimation des vaches Aubrac à l’altitude et à des conditions météorologiques les plus extrêmes. Aujourd’hui, la pluie a remplacé la neige, pire encore pour les bêtes qu’un froid sec, c’est pour cela qu’elles trouvent alors abri dans les étables. A cette rusticité hors norme, s’ajoutent une fécondité et une longévité hors-pair, ainsi qu’un régime très frugal, à base d’herbe. Un combo gagnant !
La vache Aubrac au cœur du système agricole
Si vous interrogez n’importe quel éleveur de vache Aubrac, il vous dira que la race est associée à son terroir, et réciproquement. Au 19e siècle, le système pastoral s’est construit avec l’animal emblématique de la région. A l’époque, les vaches Aubrac étaient à la fois animaux de trait, utilisées pour les travaux agricoles, et race mixte, élevée tant pour sa viande que pour son lait. Eh oui! Vous ne le saviez peut-être pas, mais la vache Aubrac était célèbre pour ses qualités laitières, et la production du fromage Laguiole.
la vache Aubrac : une race aujourd’hui sauvée de l’extinction
Cependant, au tournant des années 1960, cette race a failli disparaître. De 300 000 mères en 1900, le cheptel chute sous les 18 000 têtes en 1974 ! Les raisons de ce délaissement ? Les nouvelles technologies et l’arrivée du tracteur après guerre, qui rend moins utile l’animal de trait qu’était la vache Aubrac et la nouvelle agriculture productiviste des Trente Glorieuses. Les vaches Aubrac sont considérées alors comme moins intéressantes, et sont boudées pour leur lait au profit de races telles la Holstein et la Simmental, bien plus rentables. Côté viande, c’est la Charolaise, mieux vendue et donc au premier abord plus rentable, qui la supplante alors à l’époque.
Mais cela était sans compter la poignée d’éleveurs qui, alertés par les risques de son extinction, ont œuvré à déclencher des plans de conservation et de relance au cours des années 1970. En 2014, le cheptel était remonté à 164 000 têtes ! De même, parallèlement à ce combat, les essais sur la Charolaise et sur son croisement avec de l’Aubrac n’ont pas porté leurs fruits : la race n’a pas supporté la rudesse du terroir. Aujourd’hui, au cœur du plateau de l’Aubrac, les individus que vous rencontrerez en nombre lors de vos randonnées estivales seront donc de belles vaches Aubrac !
La vache Aubrac : un système d’élevage extensif
L’Aubrac, c’est l’élevage extensif par excellence. Par exemple, pour Maurice Poirier, son cheptel de 52 vaches Aubrac allaitantes (pour une cinquantaine de naissance par an) peut parcourir les 150 hectares de pâturages recouverts d’herbe bien grasse quand la météo le permet. Il respecte donc le cahier des charges bio de le l’élevage qui préconise, en ce qui concerne le « critère de chargement à l’hectare », un UGB (unité de gros bétail) à l’hectare.
Une exception française
Un système encore largement répandu en France, mais cela est rare ailleurs dans le monde, où l’on qualifie les systèmes d’exploitation d’« intensifs ». Ainsi, aux Etats-Unis, en Hollande ou en Italie, l’on parque les animaux par milliers dans des espaces clos, bourrés aux antibiotiques et aux hormones… Gare à la provenance de votre viande d’Aubrac, donc… En France, les impératifs ne sont pas les mêmes, comme les logiques de productivité. Les vaches Aubrac ont des hectares et des hectares à leur disposition, elles changent régulièrement de prés, et sont élevées longtemps – entre 5 à 8 ans minimum pour Maurice Poirier, de l’Elevage de la Cistre (Beaugrain, les viandes bien élevées).
Le prix de la rareté
Cette façon différente de produire explique donc le prix assez élevé de la viande d’Aubrac (qu’il s’agit de bœuf ou de vache). En effet, si la demande est élevée, l’offre est plus faible, d’une part car il faut du temps pour élever une vache et l’amener au stade ultime de la finition. D’autre part parce qu’une part importante du cheptel d’Aubrac est envoyé encore jeune, à l’âge de 18 mois … En Italie, pour se faire engraisser dans de grosses usines, et garnir ensuite les tables italiennes friandes de viande de jeune bovin sous toutes ses formes. En effet, par facilité financière, beaucoup d’éleveurs préfèrent envoyer leurs animaux jeunes en Italie, plutôt que d’assurer par leurs propres soins cette opération technique et critique.
Par conséquent, ne soyez pas étonnés du prix de la viande “mature” d’Aubrac, qu’il s’agisse de vache ou de bœuf élevés longtemps, car elle est devenue l’une des plus rares de France !
La transhumance des vaches Aubrac
Une tradition historique pour les vaches Aubrac
Que les éleveurs de vaches Aubrac aient leur ferme dans la vallée, ou déjà bien installée en altitude, une tradition hautement symbolique caractérise les élevages de « vraies » vaches Aubrac depuis le 19e siècle : la transhumance. Chaque année, aux alentours du 25 mai (à la Saint-Urbain), c’est la « montée des troupeaux », quand les vaches Aubrac sont progressivement conduites sur les hauteurs du plateau d’Aubrac, en plus haute montagne. Une fête marque ce temps fort régional du plateau de l’Aubrac : celle de la Transhumance. Chaque printemps le weekend le plus proche de la Saint-Urbain, les éleveurs endimanche leurs vaches, qui défilent alors parées de mille artifices, tels fleurs ou houx !
Zoom sur l’élevage de la Cistre
En ce qui concerne Maurice Poirier, de l’Elevage de la Cistre, sa ferme se situe à 1000 mètres d’altitude, déjà dans la montagne. Le déplacement de son cheptel en transhumance est donc plus court et le dénivelé moins raide : chaque année, il fait parcourir à ses bêtes 5 à 6 kilomètres sur 400 mètres de dénivelé, pour rejoindre « sa montagne ».
« La montagne », dans le jargon local, ce sont les grandes prairies naturelles situées au cœur de l’Aubrac, en plein milieu du plateau de l’Aubrac, dont les éleveurs sont propriétaires et qu’ils investissent en saison avec leurs cheptels. Ces pâturages en altitude, personne ne les fauche, la flore est encore plus naturelle, c’est un paradis pour les bêtes friande d’herbe, de gentianes et de cistes ! Traditionnellement, les éleveurs redescendent leurs bêtes au 23 octobre, mais comme Maurice est chez lui, les dates ne le contraignent pas pour quitter ses grandes prairies… Alors, c’est l’herbe qui parle !
Là-haut, sur le plateau, des vaches en veux-tu en voilà, et des burons à perte de vue… Chaque montagne à son buron !
Burons et vaches Aubrac
Le buron ? C’est ce bâtiment typique en pierre, couvert d’ardoises ou de lauzes, où l’on fabriquait le fromage de laguiole quand on élevait les vaches Aubrac pour leur lait… Chaque jour, le matin et le soir, jusque dans les années 1930, on trayait les vaches sur place, et on utilisait le lait pour faire le fromage. Dans les burons, les fourmes étaient entreposées pour s’affiner au fil du temps, et pour être abriter des fortes chaleurs grâce à leurs murs très épais. C’était ce que l’on appelait “le système pastoral des burons”, étroitement lié à l’élevage des vaches Aubrac.
La viande d’Aubrac en cuisine
Les qualités organoleptiques de la viande d’Aubrac
La viande d’Aubrac issue de « vraies » vache Aubrac, élevées dans les règles de l’art et suivant la tradition, est une viande ferme et peu grasse, dotée d’une chair à la fois rustique et savoureuse. En effet, comme les vaches courent beaucoup plus que des vaches enfermées – étant donné les hectares de pâturages qu’elles ont à leur disposition -, elles développent leurs muscles au détriment de leur gras. Par ailleurs, elles ne mangent que des éléments naturels, peu de gras s’ajoutent dans les tissus, la viande est donc plus ferme. Ainsi, elle aura ce que Sébastien Bras, chef 3 étoiles au Michelin qui a repris après son père Michel la direction de la table gastronomique du Suquet, à Laguiole, appelle de « la mâche ».
Le résultat dans l’assiette ? Une viande colorée, fondante, et caractérisée par la finesse de son grain, qui confère à la viande une saveur prononcée inimitable !
L’importance de la finition pour la vache Aubrac
Si la phase de maturation de la viande est importante, et fait appel au savoir-faire du boucher, le travail de l’éleveur n’est pas étranger à la grande qualité de la viande d’Aubrac : le temps de la finition est fondamental. En effet, cette phase ultime d’engraissement avant abattage requiert une alimentation plus riche en énergie pour que la vache « fixe du gras » et acquiert ainsi des qualités organoleptiques optimales. Chez Maurice Poirier, le père de Marie Claire, fondatrice de Beaugrain, les viandes bien élevées, à côté de la bonne herbe de pâturages et de leur propre foin de montagne, très riche, les vaches Aubrac sont complémentés d’un mélange de céréales et de lin bio le temps de la finition.
Ainsi, en ce qui concerne la viande d’Aubrac, si l’éleveur travaille bien la finition, la vache aura connu un petit peu d’engraissement, juste ce qu’il faut pour que la graisse pénètre un peu les muscles, pour qu’elle ait ainsi de la mâche, sans être top ferme.
Comment cuisiner la viande d’Aubrac ?
Quel que soit le morceau de viande que vous choisissez, et afin de garantir toutes ses qualités organoleptiques, sortez-le du réfrigérateur quelque temps avant la cuisson et laissez-le reposer à température ambiante. La raison ? Eviter un choc thermique qui pourrait contracter les fibres musculaires de la viande et la faire durcir.
Les conseils d’un chef
Yves-Marie Le Bourdonnec, star des bouchers parisiens, s’était confié à l’Express autour d’une petite leçon de cuisson de la viande d’Aubrac. Voici ses conseils pour cuire les grosses pièces :
la viande doit toujours être sortie du réfrigérateur entre une et deux heures avant sa cuisson.
François-Régis Gaudry, Boeuf d’Aubrac, les secrets d’une vache sacrée, L’Express, 6 janvier 2014.
La côte de bœuf et le rôti doivent être bien marqués sur toutes les faces dans une poêle à feu vif et assaisonnés de sel en même temps.
Pour la cuisson en profondeur, la règle est simple : quinze minutes par kilo, dans un four préchauffé à 220 °C.
La viande doit reposer sur sa planche, et ce pour une durée égale à son temps de cuisson. Si la viande est bien croûtée, la chaleur ne s’échappera pas mais se diffusera à cœur…”
Gril, barbecue, plancha
Si vous préférez une cuisson au gril, à la plancha ou au barbecue, le temps de cuisson va varier selon l’épaisseur de la côte, et vos préférences bien sûr. Après avoir saisi la viande à feu vif pour former une croûte de protection à partir de la caramélisation des sucs, il faudra ensuite compter 7 à 15 minutes à feu modéré pour chaque côté en la retournant régulièrement avec une pince à viande plutôt qu’une fourchette, pour ne pas piquer la viande, ce qui la dessécherait en engendrant une perte de jus.
Quid des pièces individuelles, telles la bavette ?
Beaugrain, les viandes bien élevées
La bavette d’Aloyau, muscle de l’abdomen de choix, aux fibres longues et peu serrée, tendre et goûteux, est idéal pour les biftecks. En cuisine, c’est un morceau simplissime ! Il suffit de la saisir à la poêle ou au gril 1 minute par face, et… c’est tout !
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